Si tu étais venu .

Il restait quelques places dans l'avion, alors je me suis dis : «  Si tu étais venu … »

Si tu étais venu, tu aurais retrouvé tous les sourires, les formules d'accueil et de politesse un peu désuètes, les révérences pour te dire bonjour. Tu aurais presque eu l'impression d'être quelqu'un d'important même si tu es bien incapable de porter une bassine d'eau sur la tête sans renverser une goutte.

Tu aurais compris en voyant les yeux de Catherine et de sa maman que quand on dit «  merci » on parle tous la même langue.

Tu aurais été surpris qu'un stylo soit considéré comme un magnifique cadeau et que celui qui te remercie le pense vraiment.

Si tu étais venu, tu aurais presque cru que tu allais changer le monde mais, heureusement tu avais de graves problèmes à résoudre :

Vaut-il mieux avoir l'eau et pas d'électricité ou l'électricité et pas d'eau ?

Et là tu envies celui qui vit dans sa case et qui n'a pas ces grandes questions à se poser. En plus tu n'as toujours pas réussi à régler l'eau chaude de la douche.

Si tu étais venu, tu te serais demandé comment la police va faire appliquer la nouvelle loi sur les ceintures de sécurité quand on est 12 dans une 504, en plus du chargement.

Mais tu te serais demandé si le Dieu qu'ils prient sous toutes ses formes, sous tous ces noms, dans toutes ces églises, temples et mosquées ne les a pas un peu oubliés le jour de la distribution des richesses.

Mais ils n'ont pas l'air de lui en vouloir car le coiffeur s'appelle «  A la grâce de Dieu » et la couturière «  Dieu est grand ».

Mais tu aurais admiré le courage et la volonté de la religieuse qui, armée de ses seules convictions, remplace les gendarmes pour aller récupérer les petites filles mariées de force par leurs parents.

Si tu étais venu, tu aurais vu qu'il est parfois difficile de faire communiquer et cohabiter deux conceptions de la vie et de l'éducation et que malgré toute la bonne volonté les vieux réflexes colonialistes ne sont jamais très loin ni d'un côté ni de l'autre. J'allais oublier que si tu étais venu, tu aurais redécouvert un petit métier très, très saisonnier : acheteuse d'artisanat pour l'assemblée générale. Plus qu'un métier, tout un art. Bientôt, les yovos mentiront mieux que les vendeuses.

Tu n'es pas venu, mais rassure-toi. Tu pourras toujours venir parce qu'il reste beaucoup à donner, à faire et à recevoir et tu seras toujours accueilli par « Bonne arrivée Yovo «  .

Et quand tu serais rentré en France on t'aurait dit : « Ce week-end on change d'heure » et là tu n'aurais pas su quoi faire parce que là-bas l'heure n'existe pas.

Si tu étais venu, tu n'en serais pas revenu.

Jean-Luc LABAT

 

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