Félix Septembre 2008.

Un peu plus de deux mois à Adjohoun cet été. C'est mon quatrième voyage en deux ans. J'ai beaucoup de plaisir à y retourner. A retrouver les amis et les béninois. Le contact avec ces gens m'a rendu beaucoup plus humain, moi qui ai vécu une grande partie de ma vie pour mon travail, à la recherche de la performance et de la productivité, en occultant ou en ignorant souvent les relations humaines. Moi qui vis dans un pays où les gens sont de plus en plus égoïstes, où il est parfois décevant de ne même pas recevoir une réponse à un bonjour.

Un jour j'ai guidé un aveugle, nous avons parcouru un long chemin ensemble pour aller chez l'un de ses amis. Je n'ai eu aucune gêne, les gens rencontrés n'étaient pas étonnés de voir un blanc tenant par la main un béninois. Je me suis surpris à être utile humainement.

Certains diront que je n'ai pas besoin d'aller en Afrique pour faire cela, qu'il y a bien des malheureux chez nous. C'est vrai qu'il y a des malheureux chez nous, mais notre sort est sans commune mesure avec le leur. Nous appartenons à l'un des pays les plus riches du monde où il y aurait moyen de partager plus équitablement nos richesses. Le Bénin fait partie des pays les plus pauvres mais ils savent partager leur bonheur et leur joie de vivre. De plus, à la suite de mon premier voyage, j'ai fait des recherches et j'ai lu l'histoire de la France dans ce pays:Esclavage, Guerre, Colonisation. Une partie de la richesse de notre pays a été faite au détriment de ces peuples; je me sens un peu redevable envers eux.

L'Association Aide Ecoles Bénin m'a donné l'opportunité de pouvoir le faire. Et je partage les objectifs qu'elle s'est fixés.

Donc, quand je vais à Adjohoun, je consacre une grande partie de mon temps à l'association. En principe tous les matins de huit heures à midi à notre bibliothèque, où l'on permet aux jeunes de s'initier à l'informatique, où ils peuvent consulter et emprunter de nombreux ouvrages (environ 1 000) et en particulier:

Tous les ouvrages de l'enseignement béninois de la 6 ème à la terminale, des Pré bac, Anna bac qui datent, mais qui ont été très utiles aux élèves qui passaient leurs examens.

Des documents extraits de sites internet sur l'histoire, la géographie, la politique, l'économie du pays, etc.

Plusieurs encyclopédies dont une en 60 volumes ; une petite encyclopédie est aussi installée sur les 5 ordinateurs (pour certains domaines il faudrait des ouvres plus récentes).

Ma présence a permis à Félicité, notre bibliothécaire, de prendre ses congés annuels. Malgré les vacances, il y avait régulièrement des jeunes qui venaient tous les matins travailler.

J'accompagne Basile et Elisabeth pour suivre et participer aux travaux de construction en cours. Ils ont été nombreux pendant cette période et doivent être terminés pour la rentrée scolaire.

Maçon et charpentier ne procurent aucun matériau, c'est Basile et Elisabeth qui démarchent des grossistes pour acheter et faire acheminer le tout sur les chantiers.

Pour trouver du ciment, matériau très demandé et donc très cher au Bénin, il leur a fallu une quinzaine de jours afin de trouver les 7 tonnes nécessaires à un coût raisonnable. Soit environ 90.000 FCFA la tonne (un sac de 50 kg = 4.500 FCFA, le SMIC au Bénin = 27.500 FCFA !!!). Il faut trouver aussi un moyen de transport, nouvelles négociations. Aller à la banque pour sortir les fonds nécessaires en liquide, seul moyen de paiement. Et quand la somme est importante, pour fractionner la quantité, l'obligation d'y retourner plusieurs jours de suite. D'attendre son tour. Enfin partir chez le fournisseur pour assister au chargement et le régler. (Porto-Novo 32 kilomètres mais avec 20 kilomètres de piste complètement défoncée) retour sur les chantiers pour contrôler et aider au déchargement.

Le ciment pour l'école maternelle doit être déposé dans le salon de la maison de Basile, seul endroit accessible pas trop loin de l'école et où il sera à l'abri et bien surveillé ! La 404 bâchée tombe en panne, heureusement à une cinquantaine de mètres de la maison. Transmission arrière cassée. Il faut dire qu'elle transportait plus de 2 tonnes de ciment. A l'école de Gbékandji, le sol est détrempé, la 404 s'embourbe dans la cour, nous devons vider complètement le véhicule afin qu'il puisse repartir.

Pour le sable, le gravier, le bois de charpente, le sciage, les tôles, le fer à béton, les petites fournitures etc., il faudra qu'ils recommencent toutes ces démarches.

Sur le chantier il faut procurer l'eau pour faire le béton. A Gbékandji tout est acheminé dans des bassines par des femmes. A l'école maternelle d'Adjohoun, ce sont les enfants de Basile qui le font. Ils prennent l'eau de la ville à une borne située à environ 300 mètres de l'école. Une coupure de courant, qui a duré 2 jours, les a privé de cet apport et les voilà partis au marigot qui se trouve au pied du coteau à 1 kilomètre . Et quand ce n'est pas l'eau, c'est du gravier, des parpaings, des poutres pour les paillotes, tout voyage sur la tête. Les briques sont fabriquées sur place et, durant tout le temps du séchage, un enfant doit veiller à ce qu'aucun animal ne vienne les piétiner.

Charpentiers et maçons viennent de Porto-Novo et de Cotonou. Ils mangent et dorment sur place; pas d'électricité, une natte pour se coucher, avec comme compagnons, les moustiques.

Très peu de matériel: égoïne, coupe-coupe, hache, marteaux, fil à plomb, mètre pour le charpentier. Pelle, truelle, marteau, niveau et mètre pour le maçon. Les échelles sont construites sur place avec des jeunes arbres ou du bois de récupération.

Imaginer des chevrons ou des poutres dont les dimensions peuvent varier de plusieurs centimètres sur la longueur et qui ne sont pas droits. Malgré tout cela, les charpentiers, à force de tourner, retourner les pièces de bois, réussissent à faire une jolie charpente

Et puis il y a les visites aux personnes que nous aidons, les visites de courtoisie aux autorités locales, les distributions de vêtements et de fournitures scolaires aux plus démunis.

A la maison, parfois à midi mais surtout le soir, les jeunes du voisinage viennent voir des documentaires ou des films enregistrés.

J'ai essayé plusieurs fois de faire un potager mais les résultats ne sont pas très concluants. Cette année j'ai planté du manioc, des patates douces, des ananas et quelques herbes du pays: les seules plantes qui prospèrent sous ce climat.

Je ne passe pas beaucoup de temps à cuisiner ; je me suis contenté de pain, de riz et d'une boîte de sardines à l'huile de temps en temps, quelques bananes et des citrons verts que je récolte au jardin et qui agrémentent ma boisson. La lessive, c'est tous les jours. Quand il pleut, c'est la boue, dès qu'il y a un rayon de soleil, c'est la poussière et les habits deviennent tout rouge, cette année je me suis équipé de shorts et de T-shirts noirs, ça se voit un peu moins que sur du blanc.

Les après midi libres, je découvre les environs à pied ou à vélo, chaque rencontre donne droit à des salutations. Il m'est arrivé par mégarde, un jour, de ne pas saluer un ancien ; il m'en a fait la remarque. Depuis je fais attention à n'oublier personne. J'essaye de le faire en langage Fon et je dois avoir un accent terrible car ça les fait bien rire. Il y a aussi les enfants qui me repèrent de loin et, au mot Yovo (blanc) qu'ils lancent, toute une ribambelle accourt pour venir me serrer la main. Parfois les tout petits ou les enfants n'ayant jamais vu de blanc sont craintifs et n'osent pas. S'ils dominent leur peur et s'ils parviennent à me serrer la main, ils repartent tout contents de leur exploit.

Ici, la notion du temps est bien différente de la nôtre. D'abord on prend le temps de vivre, rarement l'heure d'un rendez-vous est respectée. Mais ce n'est pas un manque de respect, et si au début, je piaffais, maintenant, je m'aperçois que c'est bien agréable de vivre ainsi; cela permet de ne pas stresser. Je donne souvent comme lieu de rendez-vous la bibliothèque, ainsi je n'ai pas à me tracasser d'un retard éventuel et je peux m'occuper en attendant.

Tout évènement peut-être sujet à retard. J'ai croisé une lycéenne à 7 heures 30 qui se rendait au lycée ; comme je pensais qu'elle commençait à 8 heures, je lui ai dit qu'elle était bien en avance.
« Non, m'a t'elle répondu, je commence à 7 heures. »
« Mais tu es bien en retard alors. »
« Non, quand il y a de l'harmattan (vent froid), tout le monde arrive en retard.
La pluie, la crue annuelle, la rencontre avec un ami, etc., de ce fait tout se décale et ainsi, parfois, un rendez-vous peut être reporté au lendemain.

Bien sûr, tout n'est pas idyllique, ils ont aussi nos défauts.

Et malheureusement, ce n'est pas un paradis pour tous. Heureux celui qui réussit à franchir toutes les embûches qui sont dressées sur son parcours et en particulier la maladie qui est souvent fatale, faute de soins. 15% des enfants meurent dans les 5 premières années, l'espérance de vie est de 54 ans pour les hommes et de 55 ans pour les femmes. Dépense totale annuelle de santé par habitant: 25 € alors que pour nous c'est cent fois plus: 2500 €.

Heureux celui qui trouve de quoi se nourrir quotidiennement.

Une forte cohésion familiale permet aux personnes dans le besoin de trouver abri et nourriture. Quelle surprise pour eux d'apprendre qu'une partie de nos anciens finissent leurs jours seuls et qu'ils puissent mourir sans un proche à côté d'eux.

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